
Une loi chasse l’autre… Il y a 13 ans, le parlement adoptait un texte pénalisant les prostituées au titre de racolage passif ou actif. A cette occasion était créé le « Collectif unitaire contre le système prostitutionnel », une association appelant de ses voeux un monde sans prostitution.
Le Cairn avait alors publié un entretien passionnant réunissant plusieurs actrices de la sphère politique féministe aux points de vue divergeant. Passionnant, car au fil de la discussion apparaît une faille, une rupture, un point de non-accord total entre celles qui, pourtant, souhaitent toutes la même chose : façonner un monde plus juste envers les femmes et de manière générale, les minorités. Mais c’est sur la question de la compatibilité entre prostitution et émancipation féminine que le dialogue achoppe.
Extrait :
C. A. : Cette question me semble au cœur de votre divergence : qu’est-ce que l’on fait des prostitués qui revendiquent la liberté d’exercer leur activité dans des conditions décentes ?
E. T. : Le point de vue féministe ne consiste pas à dire que l’on va défendre de façon catégorielle les droits d’un certain nombre de femmes, ou de certaines professions… La prostitution, c’est la marchandisation de la sexualité. On voit ce qu’y gagne le marché, mais pas tellement ce qu’y gagne la sexualité. Où s’est-elle libérée ? Où a-t-on gagné du plaisir, nous, les femmes ? Il faut revenir aux fondamentaux du féminisme.
« Il faut revenir aux fondamentaux du féminisme » : cette phrase me fait penser au débat de Juillet dernier sur la légitimité féministe de Beyonce. Peut-on se réclamer du combat féministe en string et talons hauts ? Autrement dit, la sexualisation du corps féminin est-elle compatible avec son émancipation ? Ou bien, est-ce au contraire tomber dans le piège d’une société patriarcale et néo-libérale toujours prompte à inventer de nouvelles modalités de domination ?

Cette ligne de démarcation traverse le féminisme depuis les années 80 et l’apparition des penseuses « pro-sexe », telle Elsa Dorlin. Ce mouvement se distingue du féminisme dit radical, qui donnait le la depuis les années 70.
On peut de manière schématique résumer leur désaccord à la question « faut-il jeter bébé avec l’eau du bain ? » L’eau du bain étant le capitalisme néo-libéral, et bébé les formes « marginales » d’interactions sexuelles telle que la prostitution et le bdsm.
Le féminisme radical considère ces dernières comme de purs dérivés du système patriarcal et des outils d’asservissement : impossible d’aimer se faire fouetter par un homme et de prétendre combattre pour l’émancipation des femmes.
A l’inverse, les féministes pro-sexe militent pour la ré-appropriation et le détournement de ces comportements. Elles voient dans le corps, le plaisir et la sexualité des outils politiques. Elles affirment notamment qu’une autre pornographie, féministe, est possible.
D’une certaine façon, et comme beaucoup de libéraux (coucou Adam Smith et sa main invisible), les féministes pro-sexe font le paris de l’optimisme en affirmant que des individus mobilisés politiquement peuvent détourner de leurs structures et vocations premières des mécanismes oppressifs. Les féministes radicales, plus structuralistes, ne croient pas à cette subversion du système : mieux vaut raser pour reconstruire sur des bases saines. Pour ceux qui se souviennent de leurs cours de socio au lycée, cette opposition a un petit parfum de Durkheim VS Boudon.

Pour en revenir à la citation qui ouvre cette note : que gagne la sexualité à la prostitution ? Qu’y gagne le plaisir des femmes ?
Difficile de répondre à cette question, tant elle me paraît en elle-même problématique
: je trouve impossible de manier des concepts tels que « la » sexualité ou « le » plaisir, qui ne laissent que peu de place à la subjectivité de chacun.
Que l’on décrète qu’une prostituée est forcément malheureuse et instrumentalisée ou qu’on pointe du doigt les femmes à la sexualité insuffisamment débridée, il est in fine toujours question de norme et de syndrome de Stockholm, de victime et de sauveuse. Et je doute que les femmes aient envie d’être « sauvées » à leur corps défendant, quand bien même ce serait par une autre paire de chromosome X.
Les photos et peintures qui accompagnent cet article sont de Marilyn Minter, une artiste féministe en activité depuis les années 70 et qui vient de se lancer dans une collaboration avec… Miley Cyrus.
Laisser un commentaire