
La proposition de loi visant à sanctionner les clients des prostituées a été adoptée hier en dernière lecture. Le recours à un(e) prostitué(e) sera donc passible d’une amende de 1500 euros, 3500 euros en cas de récidive.
Outre ce volet répressif, la loi se propose d’accompagner les prostitué(e)s souhaitant cesser leur activité, via un accompagnement social ainsi que la délivrance d’un titre de séjour temporaire pour les personnes étrangères.
L’efficacité de ces mesures est d’ores et déjà discutée. En décembre dernier, le défenseur des droits (ce bon vieux jacques allgood) avait jugé sur que « l’interdiction de l’achat d’un acte sexuel basée sur le modèle suédois n’est pas la mesure la plus efficace pour réduire la prostitution et pour dissuader les réseaux de traite et de proxénétisme de s’implanter sur les territoires, et encore moins la solution la plus protectrice pour les personnes qui resteront dans la prostitution, comme annoncé dans la proposition de loi. »
Concernant l’accompagnement social, se pose une problématique de moyens : avec 4,8 millions d’euros alloués pour une estimation basse de 30 000 prostituées, cela nous donne une enveloppe de 160 euros par an et par personne. Ne soyons pas taquin et partons sur une hypothèse de 5% de prostitué(e)s souhaitant être accompagné(e)s : on monte à 3200 euros. Je n’ai pas en tête le coût d’une reconversion professionnelle classique, mais je ne pense pas que ce sera suffisant.
Mais baste, la question n’est même pas là. Le problème de cette loi est qu’elle mélange, s’inscrivant dans une longue tradition abolitionniste, deux problématiques distinctes : la prostitution et la traite humaine.

Sur la prostitution : on m’a déjà soutenu que louer l’accès à son vagin était exactement du même ordre que louer sa force de travail à carrefour. Je pense que c’est simplifier un peu vite les choses (d’un point de vue psychologique et symbolique, car économiquement le parallèle est juste)… Pour autant, je ne vois pas en quoi l’usage que souhaite faire ma voisine de son vagin/anus/trou de nez me concerne, et pourquoi la volonté générale devrait légiférer sur la question.
Oui, mais… La plupart des prostitué(e)s n’ont pas choisi de l’être, pourraient rétorquer les partisans de cette loi. Et le fait est qu’on estime à près de 80% la part de travailleurs et travailleuses du sexe d’originaire étrangère – et l’on sait qu’un bon nombre sont victimes des réseaux criminels (source).
Ce qui nous amène à la seconde problématique : la traite humaine.
Le traite humaine, ce sont des centaines de milliers de femmes (contre 5% seulement d’hommes) transformées en marchandises, maltraité(e)s, violé(e)s, tué(e)s. A l’échelle mondiale, ce trafic pèse un peu moins de 200 milliards de dollars (source). Ce marché noir existe en réponse à une demande pour laquelle aucune offre légale et satisfaisante n’est proposée.
Peut-on supprimer la demande en la pénalisant ? L’expérience passée de la prohibition américaine semble indiquer que non, pas trop en fait, bof bof, voire pas du tout. Les associations impliquées ont d’ailleurs une idée assez précise des conséquences de cette loi : un report des clients, d’une part vers les espaces numériques (des plateformes de mise en relation existent déjà) et d’autre part pour l’écrasante majorité vers des espaces physiques plus reculés et plus dangereux… pour les clients, mais aussi et surtout pour les prostitué(e)s.
Mais c’est pas grave : on les verra moins.

Quels autres leviers pour lutter contre la traite humaine ? Certains pays ont opté pour la dépénalisation, voire la légalisation et l’encadrement de la prostitution… avec des résultats mitigés. C’est le cas de chez nos voisins allemands : les réseaux sont toujours là, planqués derrière les devantures. En grande partie en raison de moyens policiers insuffisants. Il semble qu’une partie du problème vienne également du décalage entre offre et demande : les clients des pays limitrophes où la prostitution est illégale se précipitent en Allemagne… Sur un autre marché, on peut imaginer que des milliers d’allemand(e)s se diraient : « banco, il y a une opportunité, lançons nous là dedans ! » Mais la prostitution n’est pas exactement un métier comme les autres et l’élasticité de son offre sans doute inférieure à celle de conducteur uber… d’où le retour des réseaux criminels et de leur main d’oeuvre captive et bon marché.

Alors, on fait quoi ?
Je pense qu’une première étape essentielle serait de permettre aux femmes qui le souhaitent de pratiquer la prostitution dans un cadre réglementaire favorable.
Et donc, accepter qu’une femme puisse vouloir être prostituée. Comme l’écrivait Françoise Gil, sociologue et proche du STRASS : « Oui, les prostituées libres existent. Et on ne peut leur dire ce qu’elles doivent faire, ou leur expliquer qu’elles sont dans le déni, qu’elles ne peuvent pas faire cela volontairement, qu’elles sont forcément des victimes. Ce ne sont pas des idiotes. Elles vivent cela comme une forme de mépris, c’est insupportable. Car cela revient à leur dire : Vous êtes trop bêtes pour comprendre, vous être dominées. »

Qui dit profession réglementée dit licence et contrôle. Peut être que certaines prostituées éprouveront des réticences à voir leur nom inscrit sur une liste numérique confiée aux bons soins de l’Etat… On les comprendrait. Il faudra donc que ce régime offre de fortes incitations – des avantages fiscaux, sociaux et la constitution d’un syndicat des travailleurs et travailleuses du sexe.
Cette idée de licence (et de pénalisation de l’activité hors licence) interroge forcément : n’est-ce pas une manière détournée de restreindre nos droits civils en matière de sexualité ? C’est notamment ce que soutient Chester Brown dans l’excellent 23 Prostituées.
Je pense que c’est se tromper de débat : la vente de services sexuels est une activité économique – comme évoqué plus haut, l’échange d’une « force de travail » contre rémunération. La réglementation des activités économiques permet à la fois de prélever les taxes et d’assurer la sécurité des parties prenantes.
Un ouvrier en BTP est libre d’effectuer des travaux gracieusement. Si en revanche il se fait rémunérer en dehors du cadre réglementaire, cela devient du travail au noir. La même grille de lecture devrait s’appliquer à la prostitution dès lors qu’elle est appréhendée comme travail rémunéré.
Ce raisonnement s’applique également aux établissements de prostitution : licences et contrôle. La question des moyens est ici cruciale pour ne pas renouveler les erreurs du modèle allemand, et on pourrait craindre que l’argent manque… Heureusement, il existe des pistes de financements. Deux idées parmi d’autres : combattre plus efficacement la fraude fiscale (entre 60 et 80 milliards d’euros par an, ce qui représente 5 à 7 fois le budget de l’Intérieur) ou mettre fin à la contre-productive guerre contre la drogue et en réaffecter les ressources à la lutte contre la traite humaine.
Enfin, il convient de pénaliser les clients de prostitué(e)s victimes de la traite humaine.
Pas en tant qu’acheteurs de service sexuels, mais comme clients de réseaux criminels qui ont la possibilité de recourir à une offre légale.
Un dernier point important concerne le travail de pédagogie à effectuer auprès des forces de l’ordre, afin qu’un(e) prostitué(e) qui travaille et paye des impôts sache qu’elle aura accès au même titre que n’importe quel citoyen à l’écoute et au secours de la police.
Planche extraite de 23 Prostituées

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