Depuis plusieurs décennies, l’administration états-unienne produit des publicités anti-drogues. Vous vous souvenez de ces spots ridicules contre le piratage qui ouvraient chaque dvd dans les années 2000 ? Imaginez pire (ou cliquez ici).

Cette longue saga connut un temps fort au lendemain des attentats du Wold Trade Center, lorsque fut introduit le nouveau message : « Drug money supports terror. If you buy drugs, you might too ».


Deux ans plus tard, une étude ayant démontré le faible impact de la campagne, on en revint à des procédés plus classiques du type « ne fume pas de l’herbe ou tu finiras seul pauvre et malade entouré de mexicains violeurs ».

Cependant, ce spot demeure à mes yeux l’un des plus intéressants, son argumentaire résonnant avec une saveur particulière en ces temps post-charlie.

D’une part, il était factuellement juste : le narco-trafic remplit les caisses des mouvements terroristes islamistes depuis des années. A titre d’exemple : selon un rapport de l’ONU datant de 2013, environ 18 tonnes de cocaine traversent l’Afrique de l’Ouest chaque année pour un montant de 800 millions d’euros. Des volumes en forte augmentation depuis le remplacement des intermédiaires Touaregs par des hommes d’Al Qaida au cours des 10 dernières années. 

D’autre part, il touchait une corde sensible de manière très contemporaine.
Qu’il s’agisse de la consommation de viande ou du fast fashion, nous intégrons peu à peu les idées d’anthropocène, de bien commun et d’interdépendance. Nos actions individuelles ont un impact et nous engagent.
On peut sans peine imaginer qu’un consommateur de prod préférerait que sa consommation favorise des acteurs économiques éthiques et responsables, plutôt que les copains des kamikazes de Bruxelles ou Lahore.

Mais pour cela, encore faudrait-il que l’Etat laisse exister de tels acteurs. C’est la limite de ce spot, comme de tous les messages cherchant à culpabiliser l’utilisateur final : mettre sur la table la question de la liberté individuelle et des conséquences de ses choix alors que les dés sont pipés.
Une partie considérable du narco-traffic n’existe que parce que depuis plus de 50 ans, nous vivons dans ce que les futurs historiens appelleront peut être la « Longue Prohibition ». L’argent de la drogue nourrit la terreur mondiale, aucun doute là dessus ; mais nos dirigeants et opinions publiques en sont autant, sinon plus, responsables que mon voisin qui tape de la md tous les samedis à la Concrete. 

Il y a 80 ans, Al capone fit fortune grâce au bootleg, la production et vente illégale d’alcool – souvent frelaté, un peu comme la cocaïne coupée à tout et n’importe quoi qui circule en Europe.
A l’époque, les ligues de vertu et les politiques conservateurs accusèrent les consommateurs d’enrichir les criminels ; difficile de ne pas établir un parallèle avec la situation présente, comme le fit l’excellente émission Concordance des Temps (quoique de manière prudente et en limitant son propos aux drogues dites « douces ») en Octobre dernier : « On ne peut qu’être d’autre part attentif aux arguments de tous ceux qui souhaitent voir légaliser, par les temps qui courent, les drogues dites « douces », tel le cannabis, en évoquant le précédent de l’alcool interdit jadis de l’autre côté de l’Atlantique et pourtant omniprésent en coulisses. L’alcool de tous les trafics. L’alcool devenu bien plus néfaste au profit de tous les dérèglements de la société, que celui qu’on pouvait vendre et consommer au grand jour et que l’État était à même de taxer fructueusement pour lui. »