On était vendredi soir, dans un bar du IXème arrondissement, j’étais gentiment ivre et d’humeur sociale. Sur le trottoir, Michèle (le prénom a été modifié par soucis d’anonymat et aussi un peu parce que je ne me souviens plus du vrai) emballait simultanément deux mecs sous le regard goguenard d’un papy aux allures de manouche mâtiné de punk. J’ai beau savoir que l’habit ne fait pas le moine, je le supposais spontanément plutôt réjoui du spectacle, en mode « ah ah ah, folle jeunesse ! »
Je fus donc un peu surpris lorsque Michèle partie, il lâcha, le verbe vulgaire et acerbe: « Elle va bien se faire baiser, elle ».

C’est étonnant ce que la dopamine libérée par une poignée de caïpi et l’approche du WE peut vous rendre tolérant. Je lui répliquais donc en souriant : « ah non, je crois plutôt qu’elle va les baiser

– Non non, c’est eux qui vont la baiser !

– Ah mais monsieur, j’ai l’impression que c’est elle qui mène les choses…

– C’est dommage. De mon temps, c’était les nanas qui se faisaient baiser, et c’était très bien comme ça… »

Et de balancer un coup de coude complique à son voisin.

Je décidai que la conversation avait atteint une impasse et tournai les talons, en quête d’une autre caïpi. Et je pensais chemin faisant que cette conversation était assez révélatrice de la vision du corps et de la sexualité entretenue par nos sociétés : un rapport de force, de la verticalité, un sujet et un COD mais pas beaucoup de nous. Même moi, je m’y étais laissé prendre en répliquant avec un tout aussi stupide « C’est elle qui… ».

Il y a des années, une amie psychanalyste m’avait fait remarqué que notre époque employait volontiers la tournure « faire l’amour à » et presque jamais « faire l’amour avec ». Il m’a fallu longtemps, et des efforts conscients, pour chasser ce corps-complément d’objet de ma parole.
Si j’en juge d’après les résultats google, il y a encore du boulot…

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